Jean Vanmai, celui qui raconte l’histoire de ses compatriotes sous forme de roman


(VOVworld) - L'invité de la Voix du Vietnam aujourd’hui est le franco-calédonien d’origine vietnamienne, Jean Vanmai, auteur de "Chân đăng", un ouvrage primé par l’Association des écrivains francophones, mais aussi de «Fils de Chân đăng» et de «Cent ans de présence vietnamienne en Nouvelle-Calédonie». Au micro de Duc Quy, il nous parle de sa passion pour l’écriture et surtout nous amène à revivre l’histoire jalonnée d'épisodes difficiles de la diaspora vietnamienne en Nouvelle-Calédonie.

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Jean Vanmai (à gauche) lors d'une rencontre avec des écrivains de Nouvelle-Calédonie. Photo: Duc Quy/VOV

Jean Vanmai : A la mine Chagrin, mon père souffrait beaucoup. Il travaillait dès l’aube jusqu’à la nuit dans les montagnes et redescendait le soir. Ma mère travaillait aussi dans des chantiers et tous les deux, ils ne me retrouvaient que le soir. Mon père avait tellement souffert qu’à un moment donné - je soupçonne, ce n’est pas sûr -, il avait perdu un doigt de pied. Et il faut savoir que souvent, les Vietnamiens, là-bas, pour avoir quelques jours de repos, ils mettaient le doigt de pied ou le doigt de la main sur le rail et puis, le wagonnet passait dessus et les écrasait... Et de cette façon, ils pouvaient avoir quelques jours de repos... Ils ne pouvaient pas faire autrement... Ça c’est le côté de mes parents. Et nous, lorsque l’on est nés, nos mamans nous emmenaient près du chantier où elles travaillaient. Elles nous accrochaient sur des branches ou nous posaient sur terre et puis, elles n’avaient pas le droit de venir s’occuper de nous. Je suis sûr que j’ai mangé mon caca. C’est comme, mais ça ne m’a pas dérangé... Malgré tout, j’ai toujours gardé un bon souvenir de cette mine, une mine de malheur, de souffrance pour mes parents. Nous, en tant qu’enfants, on ne comprenait rien, et aujourd’hui, maintenant que je suis loin de cette mine qui est à 400km d’ici, je garde toujours un bon souvenir de cette mine de mon enfance.

VOV5: Pourquoi avez-vous décidé de raconter tout ça par le roman ?

Jean Vanmai : Parce que d’abord, je me suis dit «il faudrait que quelqu’un écrive» et quinze ans après, il n’y a toujours rien eu d’écrit. Et je savais que tout serait fait en Nouvelle-Calédonie pour étouffer et effacer cette histoire des Vietnamiens. Je venais d’avoir 35 ans alors j’ai pris des cours d’écriture et je me suis lancé en me disant : «Je vais essayer de laisser quelque chose, ce n’est pas sûr que ce soit bon, mais je fais ça pour l’histoire de mes parents, pour mon histoire, mais aussi pour l’histoire des Vietnamiens qui sont venus ici et pour l’histoire du Vietnam. Il faut laisser quelque chose». Pourquoi j’ai écrit sous forme de roman? Lorsqu’on écrit un livre historique, ça ne va pas loin. On va dire : «En 1939, il y a eu un bateau avec 400 personnes dessus, hommes et femmes.» Mais si je dis : «En 1939, à bord du bateau, il n’y avait que cinq hommes pour une seule femme qui souffraient dans les cales et qui n’avaient pas le droit de sortir pour respirer à l’air libre. Une fois arrivés ici, ils étaient traités comme des esclaves.» Dans ce cas, je fais parler ces gens là. Je les fais pleurer et regretter leur pays natal. C’est autre chose. C’est romancé mais j’écris à la façon des films cinématographiques, de sorte que lorsque le lecteur lit, il se met à la place du personnage, il va souffrir et il va suivre le personnage. C’est la raison pour laquelle, même aujourd’hui, si on me conseille de faire un livre historique sur les Vietnamiens, ça ne m’intéresse pas parce que moi, je suis plutôt du côté roman ou littéraire, et je trouve c’est la meilleure façon. Les Vietnamiens n’ont jusqu’à présent qu’un seul livre, et c’est «Chân đăng». Nos amis indonésiens, eux, ont écrit quatre-cinq livres historiques. Il n’y a aucun qui a pris parce que ce ne sont que des chiffres. La différence, c’est là. J’aime bien raconter, je n’aime pas tellement parler de chiffres et de trucs. J’aime bien dire «pourquoi cet homme blanc est aussi méchant que moi ? Moi, j’ai du sang et je suis un homme comme lui». Voilà ma façon de parler.

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Photo: Internet

VOV5: «Chân đăng» est l’intitulé de votre roman. Pourquoi ce choix ?

Jean Vanmai : Parce que je ne savais pas quel titre donner à ce livre. Ma femme était opposée au titre de «Homme blanc, coeur noir». L’éditeur de Nouvelle-Calédonie, c’est la société d’études historiques de Nouvelle-Calédonie, c’est pas n’importe qui. Elle n’avait jamais publié de roman, c’était son premier roman. Le président de la société de l’époque me disait qu’il fallait donner un titre. Il m’a dit : «Mais chez vous, est-ce qu’il n’y a pas un surnom, une dénomination ou quelque chose qui pourrait faire ressentir ce truc là?». Je disais que je ne savais pas mais que peut-être entre eux, nos parents se qualifiaient de «chân đăng» - individus engagés. Sur le plan littéraire, on les transformé en «engagés tonkinois» ou «pieds engagés». Sur Internet, on dit que c’est mal traduit, je ne suis pas d’accord. Je viens de faire rectifier sur Wikipédia et ils ne parlent plus de ça, ils ont dit que c’était une traduction littérale de l’auteur. Donc, j’ai rectifié et ça me permet de me libérer de ce point et ça empêche ceux qui me critiquent de dire n’importe quoi.

VOV5: Vous avez dit que «l’écriture est devenue un virus». Pourriez-vous nous expliquer?

Jean Vanmai : Oui. Lorsque j’ai fini mon premier livre, j’avais mal au bras et je ne voulais plus continuer. Vous imaginez, vider quinze pointes bic d’un seul coup, en six mois, c’est très dur... Mais après je me suis dit qu’on ne pouvait pas arrêter parce que j’avais raconté l’histoire de mes parents. Ils sont partis et nous, qu’est-ce qu’on fait ici ? Il faut raconter et c’est là que j’ai écrit «Fils de Chân đăng». «Fils de Chân đăng», pourquoi ? Pour raconter ma génération. C’est le sentiment et la souffrance d’un Vietnamien, tel que moi, tel que d’autre ici, vis-à-vis de la guerre du Vietnam.

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