Nguyen Dinh Thanh et la traduction d’Eric-Emmanuel Schmitt

(VOVworld) - Nguyen Dinh Thanh a reçu en 2008, alors qu'il était encore relativement jeune, le prix de la meilleure traduction de l’Association des écrivains de Hanoi pour «La part de l’autre» d’Eric-Emmanuel Schmitt, qu'il a accompagné lors de sa récente visite à Hanoi. Homme de communication et homme de lettres, Nguyen Dinh Thanh nous explique ce qui l'a amené à traduire des œuvres d’Eric-Emmanuel Schmitt.

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Photo : France Alumni

Nguyen Dinh Thanh : En 2005 je faisais mes études à Paris. On se déplace tous les jours en métro. Qu’est-ce qu’on fait en métro? On lit. J’ai découvert beaucoup d’auteurs pendant cette période-là. J’aurais voulu traduire «L’extrême légèreté de l’être», Bernhard Schlink avec «Le liseur»,  «La ferme des animaux»… et un autre auteur de je voulais traduire, c'était Eric-Emmanuel Schmitt. De retour au Vietnam, j'ai découvert que Bernhard Schlink avait été traduit, Kundera aussi. Du coup, je me suis rabattu sur Eric-Emmanuel Schmitt. J’aime bien ce roman, «La part de l’autre», parce qu’au moment où je travaillais à L’Espace, j’ai fait connaissance de beaucoup d’artistes, surtout des peintres, et je me suis dit «il faut que je traduise quelque chose pour mes amis». Et je suis séduit aussi par le thème de ce livre. Notre vie pourrait changer de cours, peut-être à partir de quelque chose de très minime. La vie de Hitler aussi, le fait qu’il n’a pas été reçu à l’Ecole des Beaux-arts de Vienne a complètement changé le cours de sa vie, et cet échec a changé aussi le cours de l’histoire de l’humanité. Je suis passionné par ce thème et j’ai traduit ce livre pendant dix mois, à la fin j’ai eu une très belle récompense, le prix de la meilleure traduction de 2008, et ce prix m’a encouragé à poursuivre dans l'univers de la traduction.

VOVworld : Qu’est-ce qui vous frappe dans le monde d’Eric-Emmanuel Schmitt?

Nguyen Dinh Thanh : Moi je suis interprète de formation, donc j’aime tout ce qui est vivant, tout ce qui procède de la voix, du mouvement. Dans les livres d’Eric-Emmanuel Schmitt, il y a beaucoup d’énergie, de mouvement. Ses œuvres expriment un humanisme très profond. Je pense qu’en les lisant, on peut devenir quelqu’un de meilleur. J'ai voulu, à un moment de ma vie, être écrivain, et puis j'ai réalisé que tout ce que je voulais dire pour rendre cette vie plus intéressante, pour rendre ce monde meilleur, se trouvait déjà dans les livres d’Eric-Emmanuel Schmitt. Donc j’ai renoncé à être romancier et je suis devenu traducteur. Il y a plein de choses qu’on peut retrouver dans ses œuvres. La philosophie, notamment, mais une philosophie qui a été mélangée, bien intégrée à un langage littéraire, pour que le gens voient «c’est de la philosophie, c’est de la religion», mais c’est tellement voluptueux qu’on ne trouve pas que c’est quelque chose de rigide. Et on aime ça.  

VOVworld : Et c’est lui votre auteur préféré ?

Nguyen Dinh Thanh : Oui. Pour le moment. Ça dépend du moment de la vie, de ce que je veux faire dans chaque période de ma vie. J’aime bien Milan Kundera, ses œuvres m’ont donné la réponse à plusieurs questions que je me posais depuis très longtemps. Et bien sûr que je lis d’autres auteurs. Mais pour le moment, c’est vrai qu’Eric-Emmanuel Schmitt est l’auteur que je lis le plus.

VOVworld : Vous le rencontrez de temps en temps ?

Nguyen Dinh Thanh : Non, c’est la première fois que je le vois, à Hanoi. C’est une grande joie de voir un grand  écrivain aussi modeste et sociable. Il est très ouvert. Il parle avec son cœur, son énergie. Je voulais lui poser des questions avant les échanges à L’Espace, mais il m’a dit «non, non, laisse-moi réfléchir sur scène, et comme quoi la réponse vient vraiment de ce que je pense.». J’aime bien ça et j’ai beaucoup d’estime pour cet acte-là.

VOVworld : Vous rencontrez des difficultés en traduisant Eric-Emmanuel Schmitt?

Nguyen Dinh Thanh : En tant que traducteur, j’essaye de comprendre ce qu’il veut dire et de le restituer dans la langue d’arrivée. Bien sûr la traduction pose beaucoup de difficultés. Parfois on ne peut pas rendre la même imagination, la même sensation ou la même émotion que la version originale. Parfois il n’y a pas d’équivalent. Prenons un exemple, une expression qu’il a trouvée et que j’ai mis huit mois à traduire, mais même maintenant je ne trouve pas encore le meilleur équivalent. «Dans ce monde acrylique, le vieux peintre Adolf H se sent perdu». Le «monde acrylique», c’est quelque chose de très propre au peintre, seul les peintres peuvent voir que, voilà, les «vrais» peintres d’autrefois peignaient avec l’huile, alors que les artistes qui aiment des choses éphémères vont peindre en acrylique parce que ça sèche très vite. Donc pour le vieux peintre Adolf H, le monde acrylique c’est un monde où tout passe trop vite, sans profondeur. Dans ma première version j’ai mis « ce monde acrylique » tel quel, c’est aux lecteurs d’imaginer ce que c’est. Je trouve maintenant dans le vietnamien une expression qui dit la même chose, c’est «monde de nouille instantanée», qui désigne ce qui est éphémère et rapide. Mais «nouille instantanée» n’a vraiment pas de lien avec la peinture. Ça pourrait transmettre une partie de ce qu’il veut dire, mais ce n’est pas totalement ce qu’il veut dire, ça ne rend pas l’image qu’il faut. Donc il faut faire un compromis, soit on garde tel quel, soit on traduit par cet équivalent que les Vietnamiens comprennent tout de suite, mais ça perd la poésie.

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