La dernière sabotière

(VOVWORLD) - Il est des gens qui à eux seuls sont des vestiges du passé. Nguyen Thi Lien est de ceux-là : depuis plus de 50 ans, elle tient boutique dans le marché de Ben Thanh, à Ho Chi Minh-ville. A 72 ans, elle est l’une des dernières sabotières - eh oui ! - que compte la mégalopole du sud.   
La dernière sabotière - ảnh 1Nguyen Thi Lien, l’une des dernières sabotières - Photo Thu Hoa/VOV5 

La journée est presque finie. Lien met la dernière main à une paire de sabots que lui a commandée une jeune Japonaise, sans doute une touriste de passage pour qui c’est une aubaine.   

« Excellents, ces sabots », s’écrie-t-elle. « Et puis c’est vraiment pas cher !… Par rapport au japon en tout cas… »     

Bon, en voilà une qui n’aura pas perdu sa journée. En voilà deux, d’ailleurs car Lien aussi n’aura pas chômé. Mais manifestement, le jeu en valait la chandelle… 

« La Japonaise ? Je commence à bien la connaître celle-là », nous dit-elle. « Ce n’est pas la première fois qu’elle vient m’acheter des sabots. Elle adore ce que je fais. D’après ce qu’elle m’a dit, elle vient au Vietnam deux fois par an, et à chaque fois, elle vient ici. C’est ce qu’on appelle une cliente fidèle. »      

Une cliente fidèle, mais qui était aussi la dernière de la journée, une journée ordinaire pour Mme Lien, qui s’est soldée par trois ou quatre paires de sabots de vendues. C’est peu, il est vrai, mais là ou la quantité fait défaut, la qualité supplée...   

« Ca dépend des jours. Il m’arrive de ne rien vendre du tout. Vous savez, Ben Thanh, c’est un endroit très fréquenté par les touristes. Alors moi, ma clientèle, ce sont surtout des étrangers. De toutes façons, des Vietnamiens qui portent encore des sabots, il n’y en a presque plus », regrette-t-elle.   

Et pour cause ! Des Vietnamiens qui fabriquent encore des sabots, ça se compte sur les doigts d’une main. Mme Lien peut se targuer d’être le dernier des Mohicans, en son genre. Mais visiblement, ça lui réussit plutôt bien, et en tout cas, c’est pour ça qu’on l’apprécie.  

« Avant, il y avait toute une enfilade d’échoppes de sabotiers, ici », se souvient-elle. « Mais petit à petit, ça a disparu. Il y a bien quelques personnes qui vendent quelques sabots en plus de pas mal d’autres choses. Mais moi, je suis la seule sabotière à part entière. »     

Jadis, les sabots étaient plus simples qu’aujourd’hui, plus rustiques. De nos jours, ils sont plus colorés et de différents types: hauts, bas, épais ou minces... Les clients choisissent d’abord les semelles, puis les lanières avant de demander à Mme Lien d’assembler le tout.     

De tout le marché de Ben Thanh, Lien est la seule personne à exercer encore ce métier, on l’a dit. Cette persévérance lui vaut beaucoup de considération, comme en témoigne Pham Manh Trung, du comité de gestion du marché.

« Oui, elle fabrique ses sabots, seule, tous les jours », nous explique-t-il. « Ses enfants lui ont maintes fois conseillé de revendre sa patente, mais elle ne veut pas en entendre parler !  Parfois, elle demande aux commerçantes qui sont à côté de surveiller son stand pendant qu’elle fait une petite sieste. À côté d’elle, il y a un vendeur chinois, qui l’aide, lui aussi. »

Le comité de gestion du marché de Ben Thanh tient beaucoup à garder sa sabotière. Aussi encourage-t-il les autres commerçants à aider Mme Lien à écouler son  stock, ne serait-ce que pour promouvoir une forme d’artisanat, qui sinon serait vouée à la disparition pure et simple. Mais pour Mme Lien, il s’agit avant tout de perpétuer une tradition.    

« Il faut perpétuer ce métier! C’est une activité artisanale traditionnelle du Vietnam. S’il n’y avait plus de sabots dans ce marché, c’en serait fini du métier de sabotier », estime-t-elle.  

Ses mains sont fragiles. Mais quand elle enfonce un clou, elle le fait avec autant de force que de précision : à l’image de la détermination qui est la sienne.  

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