Article 3 : La communauté internationale n’a jamais reconnu la “langue de boeuf”

(VOV) - Un pays ne peut protester que si un autre pays soulève une revendication officielle et précise.

Bien qu’il existe des estimations différentes sur le contenu et le caractère de la « ligne de langue de boeuf », certains chercheurs chinois et taiwanais continuent d’affirmer, avec un certain applomb, que cette ligne a été reconnue largement par la communauté internationale. Certains chercheurs taiwanais vont même jusqu’à expliquer que la « ligne de langue de boeuf » manifeste une revendication sur les îles, les roches, les terrains mi-submergés ou mi-flottants qu’elle englobe depuis 1946. Quant aux chercheurs chinois, ils estiment qu’il s’agit d’une ligne frontalière traditionnelle en mer Orientale et que la Chine revendique non seulement les objets géographiques afférents mais aussi les eaux incluses dans cette ligne et les eaux adjacentes.

Selon les chercheurs chinois, avant les années 1960 et 1970, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie, Brunei et les autres pays du Sud-Est asiatique n’ont pas protesté contre cette revendication de la « ligne de langue de boeuf », ce qui implique qu’il l’ait implicitement reconnue et qu’ils aient donc reconnu par là-même que les 4 archipels (Pratas, Paracels, Macclesfield et Spratleys) relevaient de la souveraineté chinoise.

Mais la réalité est tout autre.

D’abord, il faut affirmer que depuis la publication en 1948 de la carte incluant la « ligne de langue de boeuf » et jusqu’à 2009, la Chine n’a jamais avancé aucune revendication officielle sur les eaux incluses dans cette ligne comme étant des « eaux historiques ».

Le représentant de la Chine ayant participé à la 3ème conférence des Nations Unies sur le droit de la mer n’a fait aucune déclaration sur cette « ligne de langue de boeuf ». Mais surtout, durant l’élaboration et la publication des documents juridiques relatifs à la mer, la Chine n’a jamais abordé cette question de la « ligne de langue de boeuf ». On peut citer par exemple la Déclaration instituant la mer territoriale de 12 miles marins de 1958, la Loi sur la mer territoriale et la zone adjacente de 1992, la Loi sur la ligne de base des eaux territoriales de 1996, la Loi sur la zone économique exclusive et le plateau continental de 1998, la Loi sur la gestion et l’utilisation de la mer de 2001, la Loi sur la pêche de 2004...

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Le sénateur américain Lieberman, Président du comité chargé de la sécurité intérieure et des affaires gouvernementales : « Les revendications souveraines de la Chine en mer Orientale sont trop larges »

 Selon le droit international, une renvendication relative à la frontière légitime d’un pays doit traduire clairement et ouvertement une volonté d’exercer une souveraineté sur tel ou tel territoire revendiqué. Les agissements clandestins ne peuvent pas servir de base au droit historique. Au moins, les autres pays doivent savoir ce qui se passe.

De l’avis du professeur-docteur Hoang Viet, de la Faculté de Droits de Ho Chi Minh-ville, la publication d’une carte par un individu sans aucune déclaration claire à la communauté internationale ne peut pas être considérée comme une revendication territoriale.

Comme jusqu’en 2009, la Chine n’avait jamais revendiqué officiellement sa « ligne de langue de boeuf », il est facile de comprendre que les autres pays n’aient pas réagi officiellement. Et ce silence ne peut être interprété comme une « reconnaissance tacite ». Qui plus est, en réalité, la communauté régionale et internationale n’est pas restée silencieuse chaque fois que la « ligne de langue de boeuf » apparaissait dans des documents, sur des cartes ou des schémas propagés par la Chine lors des forums régionaux et internationaux.

Concernant les 4 archipels de la mer Orientale, la Chine y affirme sa « souveraineté historique », et prétend que cette souveraineté a été reconnue largement par la communauté internationale. Elle s’est arrogée le droit de tracer cette « ligne de langue de boeuf » pour déterminer des « zones maritimes concernées » et des « zones maritimes adjacentes ». Nous allons maintenant examiner cette position en nous basant sur certains événements fondamentaux liés aux réactions de plusieurs pays face aux déclarations de souveraineté sur ces archipels.

Et tout d’abord, un événement remarquable relatif aux archipels de Hoang Sa (Paracels) et de Truong Sa (Spratleys) que nous ne pouvons ne pas mentionner : à la demande du représentant soviétique Andreï Gromyko, lors de la séance plénière tenue le 5 septembre 1951 à la Conférence de San Francisco, le Japon devait reconnaître la souveraineté de la République Populaire de Chine sur toute une série de territoires, dont les archipels de Hoang Sa (Paracels) et de Truong Sa (Spratleys). Mais cette proposition a été rejetée par 46 des 51 pays présents à cette séance.

Dinh Kim Phuc, enseignant du Département de l’Asie du Sud-Est, à l’Université libre de Ho Chi Minh-ville, a indiqué, je cite : « Ce fut Tran Van Huu, le Premier ministre du gouvernement de Bao Dai à l’époque, qui a déclaré solennellement à la conférence de San Francisco que pour radier tout doute ou pomme de discorde ultérieure, le Vietnam confirmait que les archipels de Hoang Sa et de Truong Sa lui appartenait de longue date. Cette déclaration a été notée dans le procès-verbal de la conférence. »

Ainsi, aussi bien dans les déclarations que dans les accords multilatéraux, les archipels de Hoang Sa (Paracels) et de Truong Sa (Spratleys) n’ont jamais été reconnus comme appartenant à la Chine. Si l’on ajoute à cela que les Philippines et la Malaisie revendiquent elles-aussi une partie de l’archipel de Truong Sa, on comprend bien que cette « ligne en neuf traits » n’a jamais été reconnue par la communauté internationale.   

Un pays ne peut protester que si un autre pays soulève une revendication officielle et précise. Nous avons déjà abordé ce caractère équivoque de la «langue de boeuf » revendiquée par la Chine. Les pays ne peuvent protester que si la Chine soulève officiellement une revendication.

Les chercheurs internationaux s’accordent à considérer la date du 7 mai 2009, date à laquelle la Chine a envoyé 2 notes diplomatiques aux Nations Unies, en y joignant une carte comprenant la « langue de boeuf », comme la première présentation de cette carte à la communauté internationale.

A noter que dès le lendemain de l’envoi de ces 2 notes diplomatiques, soit le 8 mai 2009, le Vietnam envoyait une note diplomatique de protestation.

La note diplomatique en question précisait, je cite : « Les archipels de Hoang Sa et de Truong Sa font partie du territoire vietnamien. Le Vietnam exerce une souveraineté indéniable sur ces archipels. La revendication chinoise sur les îles et les zones maritimes adjacentes en mer Orientale, telle qu’elle apparaît sur la carte jointe aux notes diplomatiques CML/17/2009 et CML/18/2009, est dénuée de fondement juridique, historique. Nous la considérons comme nulle et non avenue».

Le 8 juillet 2010, l’Indonésie, pays qui n’est pas impliqué dans les litiges en mer Orientale,  envoyait à son tour une note diplomatique aux Nations Unies dans laquelle il est écrit : « La prétendue « carte discontinue » jointe à la note diplomatique CML/17/2009 du 7 mai 2009 est clairement dénuée de fondement juridique international et va à l’encontre des stipulations de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982. »

Le 5 avril 2011, les Philippines envoyaient une note diplomatique aux Nations Unies pour s’opposer à la «  langue de boeuf ».

Dans sa déclaration du 23 juillet 2010 à Hanoï, la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton s’est opposée aux revendications maritimes, dont la « langue de boeuf », qui ne respectent pas la Convention sur le Droit de la mer de 1982.

Marvin Ott, professeur à l’Université Johns Hopkins, constate, quant à lui, que par le biais de la « ligne de langue de boeuf »,  la Chine prétend exercer sa souveraineté sur presque toute la mer Orientale. « Aucune puissance du monde ne peut soutenir cette exigence chinoise. Les Etats-Unis ne la soutiennent pas. L’Inde non plus. L’Union Européenne non plus. L’Australie non plus. Le Japon non plus. Aucun pays ne soutient cette déclaration chinoise. »

Quant au professeur Erik Franckx, de l’Université libre de Bruxelles, en Belgique, il fait observer que les actes précités répondent aux critères du droit international et permettent d’officialiser les positions des uns et des autres. C’est pourquoi la « ligne de langue de boeuf » ne peut pas être utilisée, d’autant moins que les protestations ont été immédiates.  Quant aux objectifs de ces protestations, ils sont là encore parfaitement clairs : empêcher la Chine de donner une assise juridique à ses prétentions territoriales en mer Orientale.   

Monique Chemillier Gendreau, professeur de Droit public et de Sciences politiques de l’Université Denis Diderot-Paris VII, ancienne Présidente de l’Association des juristes européens, a conclu que l’important, c’était le consensus des autres pays. Les autres pays n’étant pas d’accord, la Chine ne peut pas légitimer sa « ligne de langue de boeuf ».    

Qui plus est, il est à souligner que dans les documents juridiques publiés par la Chine, la  « ligne en neuf traits » n’est pas abordée et que certaines contradictions apparaissent.   

Par exemple, la Déclaration du gouvernement de la République Populaire de Chine sur les eaux territoriales de 1958 stipule que la largeur des eaux territoriales de la République Populaire de Chine s’étend sur 12 miles marins. Cette stipulation est appliquée à tout le territoire de la République populaire de Chine, y compris le plateau continental et les îles littorales, tout comme Taiwan et les îles environnantes, les archipels de Peng Hu, Pratas, Paracels, Macclesfield et Spratleys ainsi que toutes les îles appartenant à la Chine qui se détachent du plateau continental et des îles littorales.

Ainsi, la Déclaration chinoise de 1958 détermine clairement les îles qui se détachent du reste par la mer, c’est à dire l’espace maritime international libre et non pas « les eaux historiques » relevant de la souveraineté chinoise. Pourrait-il exister une zone maritime située dans les eaux intérieures de la Chine ? Bien évidemment non.   

En plus, la Déclaration de la République Populaire de Chine sur les eaux territoriales et la zone adjacente des eaux territoriales de 1992, la Déclaration de la République Populaire de Chine sur la ligne de base pour calculer la largeur des eaux territoriales de 1996 contiennent toutes des contenus contradictoires du même genre.

Le sénateur américain John McCain, ancien candidat du parti Républicain à la présidentielle américaine, a affirmé que la déclaration chinoise ne reflétait pas la réalité : « La Chine a revendiqué une ligne en neuf traits. Elle estime qu’une grande partie de la mer Orientale appartient au territoire chinois. C’est une déclaration qui ne reflète pas la réalité. Cette zone est l’espace maritime international. »

Les chercheurs chinois ont encore invoqué certaines revendications sur les eaux historiques dans la pratique internationale, dont la revendication de l’ancienne Union Soviétique, publiée le 20 juillet 1957 au golfe de Pierre-le-Grand, la revendication de la Libye sortie le 11 octobre 1973, au golfe de Sidra. Selon eux, ces exemples ont montré que dans la pratique internationale, le droit sur les golfes historiques a un statut juridique distinctif et qu’ainsi, la revendication chinoise sur « la ligne en neuf traits » est légitime. Il faut préciser immédiatement que ce raisonnement est basé sur certains cas de prétentions exorbitantes, critiquées par le droit international. Il va de soi que de tels cas ne sauraient faire jurisprudence.  

Il est parfaitement clair que « la ligne en neuf traits », qui occupe près de 80% de l’espace de la mer Orientale et qui a été transformée par la Chine en « eaux historiques » est dénuée de fondement juridique. Le professeur Li Linghua, du Centre d’information océanique de Chine, l’a lui-même reconnu que la preuve qui est vraiment convaincante, c’est le contrôle réel... "Vous dites que cette zone vous appartient, mais alors est-ce que vous l’avez déjà administrée ? Les gens qui y habitent se soumettent-ils à votre administration ? Est-ce que les autres n’ont aucun avis ? Si toutes les réponses à ces questions sont le « oui », vous gagnerez certainement. Mais aux Spratleys, nous ne l’avons pas", a conclu Li Linghua.

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