A la recherche d’une traduction...

(VOVworld) - La version vietnamienne d’«À l’ombre des jeunes filles en fleurs», qui est le deuxième tome d’«À la recherche du temps perdu» de Marcel Proust, «la bible littéraire», va être bientôt publiée par la maison d’éditions Nha Nam. L’occasion pour nous de revenir sur la place que tient l’écrivain français dans le coeur des lecteurs vietnamiens. C’est du reste ce que viennent de faire les participants d’une table-ronde organisée récemment à l’Institut français de Hanoi.

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Immense, Marcel Proust l’est à maints égards. Immense et monolithique, car il n’est l’auteur que d’une seule oeuvre... Mais quelle oeuvre! Une oeuvre titanesque, à vrai dire, l’oeuvre de toute une vie. «A la recherche du temps perdu» - c’est son titre - est l’un des monuments de la littérature française, et même de la littérature avec un L majuscule.     

Mais c’est aussi une oeuvre exigeante, aussi bien pour le lecteur que pour le traducteur, lorsque traduction il y a. Tran Hinh,  professeur de lettres à l’Ecole des sciences sociales et humaines, rattachée à l’Université nationale de Hanoï :

«Il y a trois ans encore, Proust, on n’en parlait à peine. Il a vraiment fallu que Nha Nam lance ce projet de traduction pour qu’il revienne au goût du jour. Cela étant, il ne faut pas se cacher que c’est un écrivain qui n’est pas du tout facile à aborder. Même en France, d’ailleurs... Un écrivain qui raconte une insomnie sur quarante pages, ce n’est pas du tout-venant, quand-même. Et évidemment, il y a ceux que ça décourage... Même pour des férus de littérature, Proust, c’est difficile, alors  comment le rendre accessible à des lecteurs vietnamiens... Ce n’est pas une mince affaire...» 

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Photos : Nha Nam

L’œuvre de Proust est un «roman en devenir» où se mêlent histoire, art, psychologie, érotisme, sensualité, poésie et émotion. Tran Hinh, toujours:

«C’est presque impossible de retenir tous les détails... Je ne peux que recommander aux lecteurs de consulter ‘Comment lire Proust?’. C’est un ouvrage de Georges Piroué, qui donne quand même quelques repaires. De toutes façons, même si l’auteur emploie le ‘je’, même si le narrateur s’appelle Marcel et que certains détails sont effectivement tirés de la vie de Proust, ce n’est pas une oeuvre autobiographique à proprement parler. C’est une oeuvre à multiples facettes que chacun peut lire à sa manière...»     

Proust est le pur produit des salons littéraires du 19ème siècle. Chez lui, passé et présent s’entremêlent, ce qui plonge le lecteur dans la confusion. Lire Proust, c’est un défi, y compris pour des lecteurs francophones aguerris, comme l’est Phung Ngoc Kien, docteur ès lettres :

«Les quinze premières pages m’ont complètement ensorcellé... Mais à la moitié du livre, j’ai dû m’arrêter... Il y a des phrases très longues, et parfois on en perd le sujet! C’est une ‘fausse autobiographie’ : Proust est morcelé dans tous ses personnages. On sent l’influence de Flaubert, de Stendhal, mais Proust va beaucoup plus loin dans l’abstraction. Et paradoxalement, c’est ce côté abstrait, un peu nébuleux, qui met en valeur les éléments concrets, lorsqu’ils se présentent.»     

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C’est en 2013 que le premier tome d’«A la recherche du temps perdu» a été publié en vietnamien. Les meilleurs traducteurs avaient alors été mobilisés, mais autant le dire tout de suite, du côté du public, l’accueil a été mitigé. Pourquoi?  Nguyen Duy Binh, qui ne recule devant rien puisqu’il a accepté de traduire tout seul le troisième tome, a quelques idées sur la question.      

«Pour Proust, l’écriture est un processus d’auto-traduction des pensées par les mots. Il utilise beaucoup de mots archaïques, beaucoup de procédés littéraires et attache beaucoup d’importance au rythme des phrases. Pour le traducteur, ça complique énormément la tâche, d’autant plus que c’est un travail d’horloger : il faut tenir compte de chaque virgule, de chaque pause... L’oeuvre de Proust ne peut pas s’accomoder d’une lecture superficielle. Il faut prendre le temps de savourer chaque détail. Il y a presque un aspect méditatif, là-dedans...»       

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Pour ce qui est de traduire Proust, le Vietnam accuse un sérieux retard. Nha Nam fait de son mieux, mais il n’est pas dit que les lecteurs soient prêts à se laisser embarquer dans cette quête. Partir à la recherche du temps perdu... Pour celles et ceux - et ils sont nombreux - dont l’une des principales hantise est justement de perdre du temps, pas sûr que Proust devienne leur auteur de prédilection !...  Phung Ngoc Kien :

«Les Japonais ont commencé à traduire Proust en 1930 et il y a déjà eu plusieurs traductions. Nous sommes loin derrière ! Cela étant, il me semble que c’est un passage obligé, qu’on ne peut pas faire l’impasse là-dessus. Une traduction, ce n’est jamais parfait, mais là, ça vaut vraiment le coup d’essayer, de se donner du mal.»  

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«A la recherche du temps perdu» est une oeuvre foisonnante, dont on pourrait parler des jours entiers. Il faut se laisser emporter, se laisser bercer par le flot des mots. Il faut les relire, les déguster, et apprécier leur incroyable richesse...

Et c’est bien sûr à Proust lui-même que reviennent les mots de la fin : «Nos plus grandes craintes, comme nos plus grandes espérances, ne sont pas au-dessus de nos forces, et nous pouvons finir par dominer les unes et réaliser les autres.», écrivait-il...

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