L’UE assouplit les conditions environnementales de la Politique Agricole Commune

(VOVWORLD) - Face à une vague de protestations à grande échelle des agriculteurs dans de nombreux pays européens depuis le début de l’année et aux inquiétudes quant à l’impact sur les élections du Parlement européen, prévues en juin prochain, l’Union européenne a proposé une série d’assouplissements des conditions environnementales de la politique agricole commune (PAC). Les ministres de l’Agriculture se sont accordés ce lundi 8 avril pour imposer des restrictions renforcées sur les importations agricoles venant d’Ukraine. Cette nouvelle décision montre que la Commission européenne cède de plus en plus à la pression des agriculteurs.

L'agriculture, une priorité réaffirmée par l'UE

L’imposition des restrictions renforcées sur les importations agricoles venant d’Ukraine n’est qu’une des exigences que les agriculteurs de toute l’Europe ont demandé à la Commission européenne de mettre en œuvre depuis de nombreux mois afin de protéger les intérêts du secteur agricole européen. Ils ont également formulé des exigences plus fortes en matière d’assouplissement des réglementations et des politiques environnementales et climatiques, lesquelles, selon eux, sont susceptibles de nuire à la compétitivité du secteur agricole européen.

Le 26 mars, les agriculteurs européens ont remporté leur plus grande «victoire» depuis le début de leurs protestations au début de l’année, lorsque la Commission européenne a décidé d'assouplir de nombreuses conditions environnementales de la politique agricole commune (PAC), permettant aux pays membres de gérer avec plus de flexibilité les problèmes de couverture terrestre. Dans le cadre de cette décision, les exploitations de moins de 10 hectares de terres arables sont exemptées des réglementations de contrôle croisé stipulées dans la PAC. En particulier, la Commission européenne a également reporté l’adoption de la loi sur la restauration de la nature. Celle-ci requiert en effet que chaque État membre de l’Union européenne réhabilite une portion significative de ses écosystèmes d’ici 2030, soit 20% des zones terrestres et maritimes dans l’Union européenne et, progressivement, l’ensemble des écosystèmes ayant besoin d’être restaurés, d’ici 2050. Bien qu’elle soit considérée comme l’un des principaux pays européens en matière de protection des forêts naturelles, la Hongrie est pionnière dans l’opposition à l’application de la loi sur la restauration de la nature. Le problème pour l’Europe aujourd’hui est d’être réaliste dans la poursuite de ses ambitions environnementales, comme l’a souligné Anika Raisz, ministre de l’Agriculture de la Hongrie. 

"L’agriculture est un secteur particulièrement important en Hongrie mais aussi dans tous les autres pays européens. Par conséquent, l’Europe doit être réaliste dans la mise en œuvre de ses objectifs de protection de l’environnement. Il faut prêter attention à tous les domaines et facteurs qui nous aideront à atteindre ces objectifs".

En parallèle aux mesures d’apaisement de la Commission européenne, les gouvernements de nombreux pays membres de l’UE ont également introduit de nouvelles politiques pour répondre aux demandes des agriculteurs. En France, le Sénat a rejeté en mars dernier, à une écrasante majorité, le projet de loi visant à ratifier l’accord commercial de 2017 entre l’Union européenne et le Canada, critiqué par les agriculteurs de l’Hexagone qui y voient une concurrence déloyale de l’étranger. Plus récemment, le 1er avril, le gouvernement français a décidé de suspendre la réglementation imposant la réduction de l’utilisation des insecticides. Depuis fin janvier, la France a également augmenté les subventions financières aux agriculteurs et les subventions pour les frais vétérinaires, tout en mettant en place des incitations fiscales et énergétiques.

En Espagne, le gouvernement du Premier ministre Pedro Sanchez a adopté début février la loi sur la chaîne alimentaire. Cette mesure vise à favoriser la mise en place d’un fonds de soutien aux agriculteurs de 4 milliards d’euros créé en 2022 et à décaisser 6,8 milliards d’euros de subventions de la PAC aux agriculteurs espagnols.

Les enjeux électoraux

Actuellement, les agriculteurs ne représentent que 4,2% de la main-d’œuvre de l’UE, tandis que le secteur agricole ne contribue qu’à hauteur de 1,4% du produit intérieur brut (PIB) du bloc. Par conséquent, en théorie, les agriculteurs ne constituent pas une force susceptible de créer une pression politique excessive obligeant les gouvernements européens à faire des concessions. Cependant, selon Simone Tagliapietra, experte à la Fondation de recherche Bruegel basée à Bruxelles, en Belgique, l’agriculture a une influence traditionnelle importante sur les sociétés européennes et a toujours été considérée comme faisant partie de l’identité culturelle de l’Europe. Par conséquent, les Européens accordent toujours un grand soutien aux agriculteurs. Selon les statistiques publiées en janvier par Elabe, un cabinet d'études et de conseil en stratégie de communication, en France, 87% de la population soutenait le mouvement de protestation des agriculteurs. En Pologne, ce chiffre est d’environ 80%. Cela inquiète les gouvernements, car les partis d’extrême droite et populistes peuvent facilement profiter du mécontentement des agriculteurs pour attirer le soutien du public lors des élections au Parlement européen, prévues en juin prochain. D’après un rapport publié en mars dernier par le Comité des régions de l’UE, les zones rurales des pays de l’UE ont tendance à soutenir les partis populistes d’extrême droite.

Selon Franc Bogovic, un parlementaire slovaque auprès de la Commission européenne, si la Commission européenne ne prend pas de mesures urgentes, les élections européennes de cette année deviendront «les élections des agriculteurs en colère». Pour sa part, David Clarinval, ministre de l’Agriculture de Belgique, pays qui assure la présidence tournante du Conseil européen, a souligné l’importance de créer un nouveau modèle de développement plus résilient pour l’agriculture européenne face aux nouveaux défis. “Il sera évidemment nécessaire de continuer à suivre de près des problèmes dans des secteurs agricoles spécifiques tels que le prix élevé des intrants, les conditions météorologiques extrêmes et les faibles revenus agricoles. Il est aussi important de travailler sur des mesures à long et à court terme visant à promouvoir un modèle de production durable permettant au système alimentaire européen de mieux résister aux situations de crise”, a-t-il déclaré.

Selon les observateurs, à long terme, le plus grand défi pour l’UE est d’équilibrer ses ambitions environnementales, qui sont considérées comme une priorité absolue pour la Commission européenne au cours de son dernier mandat, et les intérêts fondamentaux des agriculteurs européens.

Les récentes concessions accordées aux agriculteurs par la Commission européenne et plusieurs États membres de l’UE ont été critiquées par les organisations environnementales comme une régression de l’Europe dans la lutte contre le changement climatique. Le nouveau problème majeur pour l’UE sera la loi anti-déforestation, qui devrait entrer officiellement en vigueur à la fin de cette année. Toutefois, une vingtaine de pays membres de l’Union européenne ont demandé à Bruxelles de réviser, voire de suspendre, le Règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts, estimant qu’il pourrait nuire aux agriculteurs du bloc.

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