Jeux d'ombre…

(VOVWORLD) - Des sculpteurs, il y en a. Ils sont même légion, dans notre pays. Mais des sculpteurs «d’ombre»… Là, c’est une toute autre histoire. À ce jour, le Vietnam ne compte qu’un seul pratiquant de cet art au nom pour le moins intriguant, un certain Bùi Van Tu, qui ne sculpte pas forcément plus vite que son ombre mais qui mérite bien - une fois n’est pas coutume - d’être mis en pleine lumière.
Jeux d'ombre…  - ảnh 1Bùi Van Tu et quelques unes de ses oeuvres (Photo: arena-multimedia.vn)
Nous nous sommes rendus dans un atelier bien particulier à Bat Tràng, par un jour d’hiver. Au milieu de la salle, un jeune, vêtu d'un pantalon usé et d’un tee-shirt de couleur sombre installe des lampes sur une sculpture de paysage en pierre. Il est tellement concentré qu'il ne sent pas le froid autour de lui. Ses mains sont rugueuses, ce qui est peu courant chez un sculpteur. Après quelques minutes de silence, Bùi Van Tu se rend enfin compte de notre présence.

«Un jour, je finissais une sculpture et je l’ai mise face à une lampe», nous raconte Bùi Van Tu. «Il se trouve que l’ombre projetée sur le mur avait la forme d’un ours. C’était tout à fait fortuit, bien sûr, mais je me suis dit qu’il y avait sans doute un filon à exploiter. Et c’est comme ça que je me suis mis à sculpter en essayant de penser aux ombres projetées… Pas évident…»     

Né en 1992, à Bat Tràng, en banlieue de Hanoi, dans une famille ordinaire où ses parents ne travaillent pas du tout dans l'art. Bùi Van Tu a abandonné son métier d'ingénieur pour devenir… sculpteur d'ombre. Pas évident, là aussi… Quand on le voit, on a peine à imaginer qu’on se trouve en présence de celui qui a posé les bases de cet art si particulier dans notre pays. Un art aussi qui se joue des contours et des limites comme pour mieux les sublimer, mais dont la maîtrise suppose un apprentissage ardu, un apprentissage autodidacte, en l’occurrence…    

«Quand j'ai annoncé à ma famille que j’allais devenir sculpteur d’ombres à part entière, ça a été la levée de boucliers», se souvient Bùi Van Tu. «Il faut reconnaître que c’était un choix assez hasardeux. J’ai du tout apprendre par moi-même… Le déclic, pour moi, ça a été cette émission télévisée où j’ai été remarqué par le jury.» 

Cette émission télévisée à laquelle Bùi Van Tu a participé, c’est «Vietnam got talent», millésime 2014. À cette époque, il ne travaillait que le bois, un matériau relativement "facile" à traiter, pour lui, qui lui permettait de bien ajuster ses projections d’ombres.

"J'ai choisi de travailler le  bois "nu kháo" qui n’est pas à proprement parler une variété de bois mais plutôt les "défauts" que l’on retrouve sur les bois rares et qui forment comme des  grumeaux ou des rugosités. Ces parties là sont comme fossilisées et sont particulièrement dures. Le bois "nu kháo" ne vieillit et ne pourrit jamais, je l’ai aussi choisi pour sa résistance. J’ai souvent beaucoup de mal à trouver un morceau qui me convienne et cette recherche peut parfois me prendre des semaines. Ma sculpture est généralement terminée après deux ou quatre mois de travail."

Aujourd’hui, Bùi Van Tu travaille également la céramique ou la pierre. Outre les matières premières, sculpter nécessite une minutie et une habileté exceptionnelles ainsi qu’une imagination fertile et une bonne projection visuelle. 

Dans leur aspect «palpable», les œuvres de Bùi Van Tu n’ont rien de très particulier. Ce sont des sculptures, ni plus ni moins. Sauf que ces sculptures, elles peuvent faire obstacle à la lumière, et créer ainsi des ombres étonnantes, devenant alors de véritables prismes.    

«Chacune de mes œuvres comporte trois niveaux. Il y a la partie sculptée, que j’appelle le corps, et son ombre projetée, qui est l’âme. Comme je m'inspire du Bouddha, les images projetées sont souvent en lien avec lui… Et puis, il y a la sensation qui en résulte, qui est une sorte de divagation poétique, mais qui reste le niveau le plus important. Et ce qui reste, finalement, c’est celui qui marque les esprits.», nous confie-t-il.  

Le niveau le plus important… Celui où le spectateur peut laisser aller son imaginaire, où il accède à un ailleurs.

«Souvent, les gens ne voient que l’aspect extérieur de l’œuvre, mais il y a tellement plus… Chaque fois que je contemple une œuvre de ce type, j’éprouve des sentiments très forts. C’est un peu comme si c’était moi qui recréait l’œuvre…», nous confie   Trân Van Tuyên, un des clients de Bùi Van Tu. 

Même émotion de Le Hong Cuong, un autre client:

"Je trouve que sa sculpture et sa projection sont tout à fait fascinantes. Pour moi, Bùi Van Tu est un artiste autant talentueux qu’original."

Récemment, Bùi Van Tu a décidé de se lancer dans un autre matériau: les objets recyclés. Autre matériau, autre message: «Il faut protéger notre environnement», nous dit-il désormais…

À suivre…

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