(VOVWORLD) - Riches
en images et en musicalité, les épopées banars relient le présent et le passé,
traduisant l’aspiration de ce peuple des Hauts Plateaux au bonheur et à la
prospérité. Mais ce n’est qu’assez tard - il y a 37 ans exactement -, que les
chercheurs ont découvert ce patrimoine.
La
nuit est en général le moment idéal pour raconter des épopées, les conteurs
pouvant être allongés ou assis - Photo: internet
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Si
Dam San, l’épopée la plus connue des Hauts Plateaux qui appartient aux Ede, a
été découverte dès les années 1930, sa consoeur banar, Dam Noi, ne s’est
dévoilée aux chercheurs qu’en 1980. Le professeur To Ngoc Thanh, président de
l’Association des arts folkloriques du Vietnam, se souvient:
«En
fait, avant 1980, on avait déjà entendu des histoires qui s’apparentaient à des
intrigues d’épopées», nous dit-il, «comme des contes de fée. La toute première
épopée banar que nous avons découverte s’appelle Dam Noi, elle est consacrée au
héros Noi.»
Transmises
oralement de génération en génération, ces épopées décrivent les combats pour
la survie des Banars, expliquent des phénomènes naturels et sociaux tels que la
création de l’univers et de la race humaine, racontent les luttes incessantes
entre différentes tribus où le héros du village finit toujours par l’emporter
et le bien, vaincre le mal.
Comme
toutes les épopées, celles des Banars se déclinent en plusieurs chapitres aux
paroles métaphoriques, imagées et pleines de musicalité. Elles utilisent
l’image des plantes et des animaux pour parler des hommes et de leurs états
d’âme. Les paroles se composent à la fois de vers et de prose, celles en vers
étant chantées et celles en prose, dites. Les conteurs à la mémoire d’éléphant
peuvent raconter de longues histoires compliquées avec beaucoup de personnages
et d’événements qui s’intercalent. «Ces grands connaisseurs de la vie
communautaire et de la culture de leur ethnie disposent en plus d’une mémoire
d’éléphant leur permettant de conter pendant des nuits entières. Et chacun est
libre d’ajouter de nouveaux détails, en se basant évidemment sur l’intrigue et
sur le style littéraire de la version originale», explique Le Thuy Ly,
spécialiste de la culture folklorique à l’Institut de recherche sur la culture
vietnamienne. «Ils peuvent raconter des épopées partout, dans la Rong, la
maison communautaire, au champ, après les rites familiaux tels que le mariage,
la cérémonie d’abandon du tombeau ou les cérémonies communautaires»,
précise-t-elle.
La
nuit est en général le moment idéal pour raconter des épopées, les conteurs
pouvant être allongés ou assis. Leur public se met, quant à lui, autour de la
maison, à côté de petits feux.
La
grande originalité des Banars dans leur façon de raconter les épopées réside
dans l’absence de contact entre le conteur et son public, qui ne le voit pas, comme
nous le fait remarquer le professeur To Ngoc Thanh.
«Le
conteur ne joue pas la comédie à proprement parler», nous explique-t-il. «Il se
contente de chanter et de parler dans la pénombre, dans laquelle le passé
semble ressurgir. C’est tout simple, Dam Noi est un conte d’antan, et en
l’écoutant, on ne peut qu’imaginer le héros, sans pouvoir le voir à l’œil nu.
Et comme c’est un symbole du passé, on a juste besoin d’entendre la voix du
conteur, pas la peine de savoir s’il est assis ou debout. Chacun peut ainsi
s’identifier au héros. C’est tout un art où la créativité est aussi l’affaire
du public. Voilà la grande valeur des épopées banars.»
En
général, il faut trois nuits pour raconter une épopée. Pas question de couper
au milieu, au risque de briser le lien avec les ancêtres. On ne vient pas
écouter une histoire inédite, toutes les épopées étant connues par cœur par les
Banars dignes de ce nom, on vient pour entrer en contact avec les aïeux et les
divinités, qui assisteraient à la séance selon la croyance populaire. Grâce à
ces séances, les Banars comprennent mieux la vie matérielle et spirituelle de
leurs ancêtres, leur savoir-vivre et leur comportement vis-à-vis de la nature
et de la société.
Malgré
la raréfaction des conteurs, ces épopées existent toujours, participant à
l’éducation et à la consolidation de la cohésion communautaire. En avril
dernier, le ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme les a
officiellement inscrites au patrimoine culturel immatériel national.