Situé dans une ruelle attenante à la rue Hoàng Hoa Tham, au numéro 639 pour être précis, «Ui Chà Tra» propose bien sûr toutes sorte de thé, mais aussi le thé comme un art de vivre à part entière. Plein de charme, l’endroit a quelque chose d’un peu désuet, d’un peu hors du temps. Ça se présente comme une sorte de petit patio où l’on peut trouver différentes spécialités à déguster avec du thé, vert de préférence: chè lam, keo lac, banh chung, banh dày… La liste est longue, moins toutefois que celle des thés qui, du jasmin à la chrysanthème en passant par le lotus, déploient tout un éventail de saveurs.

C’est Nguyên Hoàng Diêp qui règne sur cet univers de douceur et de raffinement. Pour elle, le thé n’est pas une fin, mais un moyen…

«L’idée, c’est de créer un espace qui rappelle ce qu’était Hanoi autrefois, avec des plats populaires, des petits tabourets… L’image un peu emblématique, c’est cette vieille tasse de thé toute fêlée, qui symbolise à elle seule ce qu’est ‘Ui Chà Trà’… Mais j’aimerais aussi en faire un lieu de rencontre et d’exposition  pour les artistes. Il me semble qu’en tout cas, le décor s’y prête plutôt bien», me confie-t-elle.        

Tout en me parlant, Diêp jette quatre ou cinq cuillérées de thé vert dans une petite théière et y verse ensuite de l’eau fraîchement ébouillantée. Une fois prêt, le thé sera transvasé dans un grand bol, de façon à ce que les clients puissent tous le déguster au même degré d’infusion.  

A «Ui Chà Trà», tout se passe en plein air, dans ce petit patio, cette petite cour intérieure que chacun peut investir sa guise. Chanter n’y a rien d’incongru, bien au contraire, à condition bien sûr de rester dans cette tonalité générale un peu surannée qui fait tout le charme les lieux. Il arrive d’ailleurs à Diêp elle-même de pousser la chansonnette avec tel ou tel client…     

«Une semaine avant l’ouverture, j’ai vu débarquer un couple de septuagénaires qui vivent à Saigon, mais qui sont originaires d’Hanoi», me raconte-t-elle. «Ils avaient lu un article sur ‘Ui Chà Trà’, et ça avait suffi à les faire venir! Vous vous rendez compte! Malheureusement, je n’étais pas encore prête à les accueillir. Eh bien ils sont restés quand même, jusqu’à l’ouverture! En discutant avec eux, je me suis rendue compte qu’ils avaient vraiment la nostalgie d’Hanoi, du calme d’Hanoi… C’est vrai qu’avant, les gens se réunissaient volontiers dans les cours pour partager une petite tasse de thé et discuter à bâtons rompus. Tandis que maintenant…»  

Dire que Diêp a un souci d’authenticité poussé à l’extrême n’aurait rien d’exagéré. Chez elle, tous les produits proviennent de la campagne. Le pâté de porc pilé vient d’Uoc Lê, le riz gluant jaune de Vong, celui qui sert aux banh chung de Diên Biên… Rien n’est laissé au hasard.

Mais ce n’est pas un hasard non plus si les artistes raffolent de ce genre d’endroit. Nguyên Truong Quy est un jeune peintre. Il a choisi «Ui Cha Tra» pour y exposer ses œuvres.   

«J’adore la minutie avec laquelle Nguyên Hoàng Diêp gère sa maison de thé», me dit-il. «C’est pour ça que je lui ai demandé de pouvoir organiser mon expo ici. Je trouve de toutes façons que le cadre s’y prête parfaitement bien. Mes œuvres portent souvent sur Hanoi, et Hanoi, pour moi, c’est une ville calme, arborescente, où on entend le chant des oiseaux… Et ici, c’est vraiment ça. C’est Hanoi dans toute son authenticité. Rien à voir avec tous ces quartiers nouveaux à l’occidentale!..»     

Maison de thé, galerie d’art à l’occasion… «Ui Chà Trà» est aussi une bibliothèque, qui fait la part belle aux grand noms de la littérature vietnamienne: Tô Hoài, Xuân Diêu, Nguyên Công Hoan, pour ne citer que ceux-là. Mais on y trouve également des modèles d’ao dai traditionnels, tels que les dames de la bonne société en portaient  autrefois et des produits de différentes maisons avec lesquelles collabore Diêp: «Mai House», «Tiêm Con Công», «Thi Nguyên ceramique», «Bo Hon be bio», «Hoa tay»…

«L’homme se pose souvent la question de l’origine du bonheur», m’explique Diep. «A mon avis, c’est dans le travail qu’on trouve son bonheur… Moi, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour préserver certains aspects de la culture traditionnelle, et je découvre qu’il y a beaucoup de gens que cette démarche interpelle, et avec qui je peux avoir des échanges très riches et très constructifs, loin de toute nostalgie malsaine…»  

Voilà! Vous avez maintenant un aperçu de ce qu’est «Ui Chà Trà». Plus d’informations? C’est sur www.uicha.vn. Mais rien ne vaut une visite sur place et croyez-moi, ça en vaut la chandelle.