Mme Pham Thi Thi

(VOVworld) - Je lui ai donné rendez-vous un matin, fin août 2014. C’était le début de l’automne à Hanoï. Il faisait frais. Elle m’a accueilli avec sa femme de ménage qui lui rappelait les détails qu’elle avait oubliés. Personne ne peut résister au temps. À plus de 80 ans, sa mémoire n’est plus intacte, mais c’est tout à fait normal. En revanche, elle reste leste et vive. Tous les après-midis, elle prend le bus pour aller nager au club sportif de Quan Thanh. Sa maison du 14 rue Ngo Tram, témoin des hauts et des bas de sa famille, a été vendue. L’argent de la vente a été distribué à ses enfants. Elle vit toujours à Hanoï, mais désormais rue Ton Duc Thang, avec sa femme de ménage. « Vive la liberté ! », me dit-elle.


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Photo : Pham Thi Thi (deuxième à gauche) et ses collègues à la section française de VOV.

Elle s’appelle Pham Thi Thi. Née en 1932, elle est la fille cadette de Pham Huu Ninh, l’enseignant célèbre qui a fondé et dirigé la fameuse école privée Thang Long, à Hanoï où plusieurs révolutionnaires et intellectuels ont enseigné dont Vo Nguyen Giap, Phan Anh, Hoang Minh Giam, Bui Ky, Xuan Dieu, Dang Thai Mai, Nguyen Cao Luyen, Le Thi Xuyen, Pham Huy Thong, Vo Tuan San… Pham Huu Ninh avait cinq filles dont les prénoms commençaient tous par un T – à l’instar de celui de son épouse Tran Thi Thuan, une beauté de la province de Nam Dinh : Tram, Truc, Thuc, Thuoc, Thi. La plupart d’entre elles ont participé à la résistance anti-française. Mme Thi était une militante intra-muros.

C’est par pur hasard qu’elle est venue travailler à la Voix du Vietnam.

Après la libération de la capitale, Le Quy, qui dirigeait à l’époque les émissions internationales, celle francophone en particulier, l’a rencontrée lors d’une projection de film organisée par les jeunes militants intra-muros. Après discussion, il a appris qu’elle avait étudié au lycée français Albert Sarraut et terminé sa première année à la Faculté de Droit. Il l’a alors invitée à venir travailler pour l’émission en français qui manquait de personnel. Quelques jours après, elle a décidé d’abandonner ses études pour venir travailler à la Voix du Vietnam, au 58 rue Quan Su. Après quelques jours, elle est devenue présentatrice de l’émission francophone alors qu’elle n’avait suivi aucune formation ni passé aucune période d’essai comme c’est de coutume aujourd’hui. Malgré tout et jusqu’à ce jour, elle passe pour avoir été l’une des plus belles voix de cette émission.

Au plus fort de la résistance anti-américaine, elle était présente aux endroits les plus dangereux. Fin 1972, en pleine escalade de la guerre, alors que l’aviation américaine tentait de détruire Hanoï et d’autres villes du Nord avec leurs bombardiers B52, elle est restée dans la capitale avec ses enfants encore tout petits. Chaque nuit, portant une bande rouge sur sa manche, elle quittait son domicile pour enregistrer son émission avec ses collègues. Après cette période, elle a participé à la mission 59 de la Voix du Vietnam et est partie avec ses enfants à Kunming, en Chine, là où étaient diffusés provisoirement les programmes de la radio nationale pendant la réparation des émetteurs de Me Tri et de Bach Mai, qui avaient été détruits par les bombardements américains. Elle se souvient : « Le 21 janvier 1973, dès potron-minet, la bonne centaine de membres de la mission 59 étaient présents au 58 rue Quan Su. Il y avait une dizaine d’enfants que les mères avaient voulu amener avec elles. Le rédacteur général Tran Lam est allé serrer la main de chacun. À l’exception des responsables de la délégation, personne ne savait où ils allaient exactement, si ce n’était un nouveau lieu d’évacuation dans le but de garantir la permanence des émissions. À 5h30 du matin, trois voitures quittaient le 58 rue Quan Su en direction du Nord. La route était accidentée. Ce n’est qu’au soir tombant que le convoi est arrivé à Lao Cai, une province frontalière du Nord. La délégation y a passé la nuit. Le lendemain matin, le 22 janvier 1972, il y avait une réunion et c’est là que les membres de la délégation ont appris que le lieu d’évacuation ne se trouvait pas au Vietnam, mais à Kunming, capitale de la province du Yunnan, en Chine. À 1500m d’altitude, Kunming était un lieu idéal pour émettre les émissions de la Voix du Vietnam partout au Vietnam et dans le monde. En effet, la qualité sonore des émissions était bonne. Lorsque la mission 59 est arrivée à Kunming, les accords de Paris venaient d’être paraphés le 23 janvier 1973 par Le Duc Tho, conseiller spécial et représentant de la République démocratique du Vietnam et par Henri Kissinger, conseiller à la sécurité du président des États-Unis. Le 27 janvier 1973, ces accords étaient officiellement signés. Cette nuit-là, à 22 heures de Hanoï, c’est-à-dire 23 heures de Pékin, le contenu de ces accords a été diffusé à tous les auditeurs vietnamiens et internationaux de VOV. Cette émission a été rediffusée plusieurs fois. Au début, la mission 59 avait envisagé de rester à Kunming pendant six mois, le temps de réparer les  émetteurs de Bach Mai et de Me Tri. En réalité, les travaux ont pris un an. Ce n’est qu’en juin 1974 que la délégation vietnamienne a pu quitter Kunming et regagner le pays. »

Au début des années 1980, la section française de VOV a recruté de nouveaux reporters et rédacteurs. J’ai été admis avec d’autres jeunes. Mme Thi était à l’époque responsable de la section, et avait pour tâche de relire les textes qui allaient être présentés à la radio. La relecture est un travail important. Sa façon de le faire m’a été très instructif. Respectant autant le traducteur que l’auteur du texte, elle ne corrigeait que ce qui était nécessaire. Et chaque fois avec la même minutie de telle sorte que le traducteur et l’auteur apprennent quelque chose de plus.

Née dans une famille intellectuelle aisée, elle aurait pu avoir une vie facile. Il n’en a rien été. Elle a eu une vie difficile, comme tout le monde à l’époque des rationnements. Son époux – Chu Chu, chef du service Actualité de la Télévision du Vietnam - était un journaliste brillant, un mari et un père affectueux et dévoué. Il a été désigné chef de la délégation des experts du Comité de radio-télévision du Vietnam au Laos. Après six mois passés au Laos, il est tombé malade et a été rapatrié. On l’a amené à l’hôpital Viet Xo où personne n’a pu déterminer quelle maladie il avait contractée. Un matin, elle m’a appelé d’urgence pour la conduire à l’hôpital. Il agonisait. Il est mort dans ses bras. Personne n’a su de quelle maladie. On lui a attribué le titre posthume de « héros mort pour la patrie ». Terrassée par le chagrin, elle s’est jetée corps et âme dans le travail et le quotidien difficile de l’époque des rationnements.

Durant ses 34 années passées à VOV, jamais je ne l’ai vue réclamer quoi que ce soit pour elle-même. Elle n’a fait que se consacrer au travail et à la formation des jeunes… Une fois, je me suis plaint auprès d’elle que le tube cathodique du téléviseur Bering de ma famille était tombé en panne. Elle m’a alors dit : « Laisse-moi en parler à M.Than ». Ce disant, elle m’a amené chez Trinh Ly Than, qui était à l’époque directeur général adjoint de la Télévision du Vietnam, en charge des questions techniques. Il habitait à côté du Centre audio de VOV, dans une maison qui allait être démolie pour y construire l’actuel bâtiment 41 et 43 rue Ba Trieu. Après l’avoir écoutée, il a signé un papier me permettant d’acheter un tube cathodique. C’est sans doute parce qu’il les respectait beaucoup, elle et son mari. À cette époque, tout était planifié, on devait satisfaire à beaucoup de conditions pour pouvoir avoir tel ou tel matériel. Moi, reporter débutant que j’étais, jamais je n’aurais osé rêver d’un tel privilège ! Inutile donc de vous dire combien j’ai été heureux d’obtenir cette « signature en or ». Je me suis précipité au Comité de radio-télévision où j’ai pu acheter, à moindre coût, un tube cathodique noir et blanc pour notre vieux téléviseur Bering. Mes parents étaient fous de joie et surtout fiers d’avoir un enfant si talentueux qui, à peine recruté à la Voix du Vietnam, avait pu régler le problème du tube cathodique.

… Puis une matinée au début de 1988, je l’ai rencontrée à la descente de l’escalier. Elle m’a dit : « Je rentre chez moi, ça fait déjà 15 jours que je devrais être en retraite ». En fait, la notification de sa mise à la retraite était arrivée en retard. Ne le sachant pas, elle avait continué à travailler telle une fonctionnaire assidue. À l’époque, les salariés n’étaient pas informés de leur  retraite plusieurs mois à l’avance comme c’est le cas aujourd’hui. L’image de cette femme portant un chapeau conique et un sac vide qui descendait l’escalier, le pas lourd, m’obsède encore…

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