Tran Lam nous manque

(VOVworld) – Le Truong Kien était journaliste à la Voix du Vietnam. Aujourd’hui retraité, il nous évoque ses souvenirs en tant que secrétaire de Tran Lam, le premier rédacteur en chef de la Voix du Vietnam, également président du Comité de radio-télévision du Vietnam.


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Tran Lam, le premier rédacteur en chef de la Voix du Vietnam


J’ai été secrétaire du président du Comité de radio-télévision du Vietnam (CRTV) de 1982 à 1987. Ces cinq années ont été marquées par beaucoup de souvenirs inoubliables.

« Vous êtes mon secrétaire, mais vous pouvez toujours pratiquer votre métier de journaliste »

En 1982, j’étais journaliste spécialisé dans l’agriculture de la radio La Voix du Vietnam (VOV). Ensemble avec d’autres journalistes de la Télévision du Vietnam (VTV), j’ai eu l’honneur d’accompagner le président du CRTV Tran Lam à Vinh Phu, où le Comité central du Parti communiste vietnamien (PCV) l’avait envoyé pour assister au congrès du comité provincial du Parti, lequel allait d’ailleurs l’élire, parmi d’autres délégués, au 5e congrès national du PCV.  

Il nous a recommandé de suivre de près l’évolution du congrès du comité provincial du PCV, d’interviewer de nombreux cadres de la province et de nous rendre sur le terrain afin de « clarifier l’issue » (un terme très prisé à l’époque par Tran Lam et d’autres membres du Comité central du Parti) en matière de développement économique. J’ai essayé de suivre ses recommandations en réalisant une série de reportages qui devaient  être diffusés sur les ondes de VOV. Tran Lam m’a demandé de les condenser en deux parties pour la VTV.

Lors du 5e congrès national du PCV, Tran Lam a été élu au Comité central du Parti. 

Ensuite, un cadre du Service d’Organisation du CRTV m’a fait savoir que Tran Lam voulait que je sois son secrétaire. J’en ai été à la fois heureux et inquiet, car ingénieur chimique de formation, je n’avais suivi aucun cours de lettres ni de journalisme et depuis une dizaine d’années, je n’étais qu’un humble journaliste à VOV. Pouvais-je dignement « assister » le président du CRTV, également membre du Comité central du PCV ?

J’ai évoqué mon inquiétude à Tran Lam. Il s’est esclaffé en disant : « Vous êtes mon secrétaire, mais vous pouvez toujours pratiquer votre métier de journaliste ! »

En effet, il m’a autorisé à revenir de temps en temps à mon ancien service pour partir en reportage, avec d’autres journalistes comme avant. Chaque fois qu’il effectuait des missions à l’étranger (principalement en ex-URSS) il n’oubliait pas de me suggérer de partir en reportage durant son absence.  

De retour de ses voyages, il rapportait toujours des cadeaux pour moi, mais aussi pour mes enfants qui avaient l’âge de ses petits-enfants. Il me posait des questions sur mon propre voyage sur le terrain, lisait mes reportages, puis me donnait des suggestions pour en améliorer le contenu, des suggestions vraiment éclairantes pour moi. 

Tran Lam utilisait son secrétaire d’une manière bien différente des autres chefs. Il ne m’a jamais demandé de l’accompagner lors de ses voyages à l’intérieur du pays pour l’aider à préparer des documents ou prendre des notes. Il rédigeait lui-même presque tous les documents portant sa signature, notamment ceux destinés au Comité central du PCV. Il disait qu’écrire constituait un bon entraînement et qu’il était plus facile de parler que d’écrire. Tran Lam pouvait parler des heures avec enthousiasme des sujets qui lui tenaient à cœur et le public était toujours attentif à son écoute. Il a sans doute développé cette capacité grâce aux années passées à VOV, notamment au début, quand presque toutes les émissions étaient réalisées en direct dans des conditions difficiles. 

Plus tard, j’ai constaté que si je ne l’accompagnais pas lors des déplacements, je ne pouvais pas accomplir ma tâche de secrétaire car je ne saisissais pas toutes les idées qu’il exprimait lors de ces voyages et je ne savais pas grand-chose des organismes du CRTV. Je lui ai donc parlé de ce constat et il m’a autorisé à assister à davantage de réunions avec lui et à l’accompagner de temps en temps lors de ses tournées dans le pays. Il a fait en sorte que je puisse accomplir au mieux mes deux métiers : secrétaire et journaliste. 

Soudain, le CRTV a été dissout. Tran Lam est redevenu rédacteur en chef de la Voix du Vietnam. Je n’avais plus beaucoup de travail en tant que secrétaire. Il m’a autorisé alors à regagner mon service pour être journaliste. Chaque fois que j’écrivais un reportage, je me souvenais de ses recommandations et je faisais de mon mieux pour les suivre.  


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Tran Lam et Thanh Ngan dans les studios situés derrière l’Opéra de Hanoi, septembre 1945 (Photo publiée dans le livre : « 50 ans de l’Association des journalistes vietnamiens »)


En cherchant des documents, j’ai trouvé … son salaire et une bile d’ours séchée…

En tant que membre du Comité central du PCV, 5e exercice, et président du CRTV, Tran Lam recevait tous les jours un grand nombre de notes officielles et de documents de la part du Comité central, du Gouvernement, des organisations et des organismes du CRTV. Parmi ces documents, certains portaient le cachet « confidentiel » ou « ultraconfidentiel ». À la fin de chaque trimestre, le cabinet du Comité central dressait un inventaire de ces derniers et exigeait qu’ils lui soient remis pour archivage. 

J’ai noté chaque réception de documents dans un cahier, n’oubliant pas de marquer « confidentiel » ou « ultraconfidentiel » avant de les mettre sur le bureau du président du CRTV. Après lecture, il allait en mettre certains au placard et m’en remettre d’autres pour que je les confie aux services du CRTV. Ainsi, saurais-je toujours où réclamer ces documents.  

Toutefois, en ce qui concerne les « confidentiels » ou « ultraconfidentiels », après lecture, Tran Lam faisait venir les chefs des services concernés pour leur parler de ces documents et parfois les leur confier pour un certain temps. Dans ces cas-là, j’en perdais la trace.   

C’est pour cette raison qu’une fois par mois, le président du CRTV me donnait la clé du placard de son bureau pour dresser un inventaire des documents qui s’y trouvaient tout en vérifiant leur liste dans mon cahier afin de vérifier si rien ne manquait.  

Une fois, après des fouilles énergiques dans son placard à la recherche d’un document réclamé par le cabinet du Comité central, j’ai sursauté en voyant parmi les paperasses une enveloppe sur laquelle était écrit de ma propre main : « Salaire de M. Tran Lam » ! Je l’ai ouverte : il y avait deux mois de salaires du président du CRTV (à l’époque, on recevait les salaires tous les deux mois). Ce qui était triste, c’est que ces billets n’étaient plus en circulation car l’État avait changé la monnaie le mois précédent ! Tran Lam a donc mis l’enveloppe contenant son salaire que je lui avais remis parmi les documents à ranger dans le placard ! 

J’ai remis cette enveloppe avec les billets de banque désormais sans valeur au président. Interdit pendant un instant, il a éclaté de rire : « J’ai oublié même l’argent ! Dommage ! Un déficit budgétaire pour mon épouse alors !»

Une autre fois, en rangeant les documents dans ce même placard, j’ai trouvé une autre enveloppe, avec des mots écrits toujours par moi-même « bile d’ours séchée ». Je me suis souvenu alors qu’auparavant, quelques cadres du district de Thuong Xuan, province de Thanh Hoa, étaient venus travaillé avec le président du CRTV. À l’issue de la réunion, l’un d’entre eux m’a donné une bile d’ours séchée en disant : « Cela est aussi précieux que l’or. C’est pour Tran Lam ». Je ne savais pas pourquoi il ne l’avait pas donnée directement à Tran Lam mais à moi-même. J’ai donc mis la bile dans une enveloppe avec quelques mots dessus et mis le tout sur le bureau du président. Je ne savais pas pourquoi l’enveloppe se trouvait parmi ces documents. 

Je la lui ai donc remise en main propre. 

Un certain temps après, ma mère âgée est tombée et a eu mal au pied. J’ai donc demandé à Tran Lam de me donner cette fameuse bile pour faire un massage à ma mère. Après un moment de réflexion, le président m’a dit qu’il ne s’en souvenait pas du tout et qu’il demanderait à sa femme s’il lui avait remis la bile. Celle-ci lui a dit que non ! 

Il m’a donné un logement sans que je le lui demande

À l’époque, les couples étaient logés par l’employeur de la femme. Or, ma femme travaillait pour une société de construction. Nous changions donc de logement en fonction des ouvrages réalisés par cette société. Quand j’étais secrétaire de M. Tran Lam, notre couple et notre fille aînée habitaient une baraque au chantier de Vinh Tuy. 

Soudain, ces habitations provisoires ont été détruites au service du chantier. Nous nous sommes retrouvés littéralement à la rue.  

J’ai voulu me plaindre auprès de M. Tran Lam, mais je n’osais pas. Un jour, je l’ai entendu parler à un employé du CRTV d’une voix haute et tendue : « Je vous sous-estime à cause de votre demande d’augmentation de salaire ». J’ai compris qu’il n’aimait pas qu’on le sollicite pour ce genre de choses. 

Ce matin-là, je suis donc entré dans son bureau pour demander un jour de congé. Il m’a demandé la raison. D’une voix hésitante, je lui ai expliqué notre situation de sans-abri. Après un moment de réflexion, il m’a dit : « Faites venir Xuan Luong, s’il vous plaît ! ». (Xuan Luong était à l’évoque chef adjoint de cabinet du CRTV).  

Ensuite, il m’a donné un jour de congé pour accompagner Xuan Luong au Département des services locaux, au 35 Nguyen Dinh Chieu. On m’a accordé une salle d’entrepôt comme logement provisoire. Plus tard, notre famille a déménagé au 128C Dai La (Carrefour Vong) où se trouvaient les HLM destinées aux employés de la VOV, puis  au bâtiment D sur la route Giai Phong, classé parmi les meilleures HLM de Hanoi au début des années 1990. 

Un au revoir riche d’émotion  

Quand Tran Lam est parti à la retraite, en 1987, je lui ai dédié un poème baptisé « Ici, la Voix du Vietnam ». En voici quelques extraits :

Cela fait plus de quarante ans 

Que vous êtes lié aux sons et à la conquête de l’espace par les ondes

« Ici la Voix du Vietnam »

Vous avez surmonté tant de difficultés

Des premiers jours de l’édification nationale

Et tant de dangers de la guerre destructrice menée par l’ennemi

Pour qu’on puisse toujours dire fièrement « Ici la Voix du Vietnam »

Une vague mélancolie me hante

Les fleurs vont-elles encore éclore à la fenêtre au deuxième étage du 58 Quan Su ?

Et à l’intérieur du bureau, vous ne serez plus là. 

Mais rassurez-vous, les jeunes générations ont grandi

Elles vont nous succéder

Pour étendre les ondes

Et pour promouvoir cette tradition de quatre décennies. » 

Après avoir lu ce poème, je le lui ai donné tout en éclatant en sanglots. Il l’a reçu et m’a donné une accolade. Visiblement ému, il a pourtant très vite retrouvé son rire : « Mais je ne suis pas mort, pourquoi pleurez-vous ? » 

C’était la première et l’unique fois qu’il m’a donné une accolade. Aujourd’hui encore, je peux toujours sentir la chaleur de son étreinte./. 

Hanoi, juin 2012

Le Truong Kien

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