Article 1 : "Ligne de langue de bœuf", une revendication équivoque

(VOV) - Quand et comment « la ligne de langue de bœuf » a-t-elle été formée ? Quelle est sa nature ? Ces questions ont été évoquées par de nombreux chercheurs. Toutefois, pour aborder cette question de manière objective et impartiale, rien n’est mieux que de commencer par les informations émises par des chercheurs chinois à travers leurs ouvrages scientifiques.

Selon Li Linghua, chercheur au centre d’information océanique de Chine, « en 1946, Lin Zun dirigea une flotte à la conquête des îles. Toutefois, à mon avis, l’objectif principal était de réceptionner les biens des vaincus. Certaines îles dont on ignorait à qui elles appartenaient furent occupées par le Japon qui, ensuite, après sa défaite, nous les offrit, ce que bien sûr, nous   acceptâmes avec joie (…). Un représentant du ministère de la Géologie et des Ressources Minérales de Chine qui accompagna la flotte dessina alors à tort et à travers une ligne chimérique qui avait la forme d’un grand sac. De retour sur la terre ferme, il fit imprimer cette ligne dans la carte du gouvernement de la République de Chine qui fut ensuite publiée. C’est ainsi qu’est née une ligne frontalière (…) ».

Article 1 :

« Carte des îles de la mer du Sud » élaborée en 1947 par les services compétents de la République de Chine après l’expédition de Lin Zun. La carte est dessinée et commentée à main. Elle précède la soit-disant « ligne en U » de nos jours.
(Photo : hudong.cn)


Ainsi, selon les informations de Li Linghua, la première carte comportant « la ligne de langue de bœuf » est née après la seconde guerre mondiale. Cette carte a été publiée par le département des frontières et des territoires, relevant du ministère de l’Intérieur de la République de Chine, en février 1948, sous l’intitulé « carte des îles de la mer du Sud ». La fameuse ligne a été baptisée « langue de bœuf » puisque représentée par onze traits, elle ressemble en effet à une langue de bœuf qui lècherait la mer Orientale.

En 1949, mis à l’échec par Pékin, le gouvernement de Tchang Kaï-chek se retire sur l’île de Taiwan. La République Populaire de Chine voit le jour. En 1949, celle-ci fait publier une carte dans laquelle « la ligne de langue de bœuf » est représentée telle qu’elle figurait dans la précédente carte émise par la République de Chine en février 1948. En 1953, « la ligne de langue de bœuf » dans les cartes publiées par la Chine n’est plus représentée que par neuf traits. Deux traits dans le golfe du Bac Bo ont été enlevés.

Ainsi, « la ligne de langue de bœuf » tire son origine d’une carte privée, créée par Bai Meichu, qui accompagnait la flotte de Lin Zun dans son expédition vers l’archipel de Truong Sa (Spratleys) en 1946. La ligne a ensuite été introduite dans la carte du gouvernement de la République de Chine, puis de la République populaire de Chine.

C’est un fait tout à fait inhabituel car au moment où est née « la ligne de langue de bœuf », selon les dispositions du droit international en vigueur à l’époque, les eaux territoriales ne s’étendaient qu’à trois mille marins des côtes, au maximum.

C’est pour cette raison que des chercheurs chinois reconnaissent objectivement qu’on ignore si, « en dessinant cette ligne, son auteur possédait suffisamment ou non de connaissances en matière de droit de la mer à l’époque ». Selon une source d’information, l’auteur de cette « ligne de langue de bœuf », Bai Meichu, a été invité à Pékin en 1990 pour s’expliquer sur la fameuse ligne figurant dans la carte qu’il avait dessinée en 1946, mais il n’a pu avancer aucune explication juste sur cette revendication bizarre.

Toutefois, pour justifier cette ligne « chimérique », pas mal de chercheurs chinois cherchent à avancer des arguments.

Le professeur Gao Zhiguo, directeur de l’institut des affaires maritimes, relevant de l’administration d’Etat des Océans de Chine, estime qu’en étudiant bien les documents chinois, on constate que la Chine n’a jamais revendiqué toutes les eaux de la mer de Chine méridionale [mer Orientale], mais seulement les îles et les eaux qui les entourent à l’intérieur de cette ligne. 

De son côté, le chercheur Pan Shiying estime que cette ligne existe depuis un demi-siècle sans qu’aucun Etat n’ait émis la moindre protestation, ce qui lui donne une valeur historique, qui en une sorte de frontière nationale. La Chine revendique non seulement tous les quatre archipels Pratas, Paracels, Macclesfield et Spratleys, mais aussi toute la zone située à l’intérieur.

Un autre chercheur, Zhu Ke Yuan, lui, estime que cette revendication ne doit pas être considérée comme une revendication de zones historiques selon le sens traditionnel. Elle est une forme de revendication des droits de souveraineté et de juridiction historique et non pas une revendication de souveraineté complète et absolue.

Toutefois, pas mal de chercheurs chinois ont officiellement rejeté cette revendication. En juin dernier, en Chine, l’institut de recherches économiques Tian Ze et le journal en ligne Sina.com ont organisé un colloque intitulé « Litige en mer Orientale : souveraineté nationale et réglementations internationales ». Lors de ce colloque, Li Linghua, du centre d’information océanique de Chine, a indiqué que depuis toujours, dans le monde, il n’existe pas de frontière terrestre ou maritime chimérique. Or, la ligne en neuf traits en mer Méridionale est une ligne chimérique. Nos prédécesseurs ont tracé une ligne en neuf traits qui n’a ni longitude ni latitude précise, et qui est en plus dépourvue de base juridique. 

De son côté, Zhang Shuguang, de l’institut de recherches économiques Tian Ze, membre de l’académie des sciences sociales de Chine, estime que la ligne en neuf traits n’a aucun fondement juridique. Les chercheurs juridiques dans le pays et leurs collègues à Taiwan partagent cette estimation. Cette ligne est revendiquée unilatéralement par la Chine. 

C’était différents avis de chercheurs chinois. Et maintenant, quelle est la position officielle de la Chine ?

La note diplomatique adressée par la Chine au Secrétaire général des Nations Unies le 7 mai 2009 est le premier texte depuis plus de 60 ans à exprimer la position officielle chinoise sur ce sujet. C’était aussi la première fois que la Chine rendait officiellement publique la carte avec la fameuse ligne au monde entier.

La note indique que la Chine a la souveraineté incontestable sur les îles en mer Orientale et les zones adjacentes et jouit des droits de souveraineté et de juridiction sur les zones concernées, de mêmes que les fonds marins et leur sous-sol. 

Cette note, avec des notions telles que « zones adjacentes » et « zones concernées », montre que la position officielle chinoise sur la nature de la revendication est très équivoque.

Le docteur Marco Bénatar, du centre de droit international, de l’université libre de Bruxelles, en Belgique, remarque que la Chine n’a pas avancé de critères permettant de clarifier le sujet. Selon lui, les différentes explications de la « ligne de langue de bœuf »  proposées par des chercheurs ainsi que la note diplomatique équivoque du 7 mai 2009 le montrent bien. Parallèlement à des phrases alambiquées, les termes utilisées dans la note telles que « zones concernées » ou « zones adjacentes » rendent difficile la compréhension du texte, estime Marco Bénatar. Ces termes n’existent pas du tout dans la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, conclut-il. 

La note diplomatique, avec son manque d’explication et son expression incompréhensible qui n’est pas conforme aux normes en matière de carte internationale, n’exprime pas clairement d’intention sur « la ligne de langue de bœuf ». Elle ne peut en aucun cas constituer une revendication territoriale.

Le professeur Erik Franckx, de l’université libre de Bruxelles, en Belgique, montre que les cartes avec la ligne en neuf traits dressent un autre tableau de la mer Orientale par rapport à d’autres cartes et à d’autres documents des états côtiers de la région. En plus, selon Erik Franckx, les cartes chinoises représentent « la ligne de langue de bœuf » de différentes manières. Celles d’avant 1953 la dessinaient en onze traits, tandis que celles d’après la faisaient en neuf traits. Aucune raison officielle n’a été avancée pour expliquer l’abolition de ces deux traits. Ces cartes qui se contredisent ne constituent pas de documents fiables, conclut Erik Franckx.

La « ligne en neuf traits » de la Chine n’est ni stable, ni précise. Selon le docteur Hoang Viet, il est clair qu’une telle ligne ne peut être considérée comme une « frontière nationale » selon le droit international puisque la stabilité et la précision constituent les caractéristiques les plus importantes d’une frontière.

« Peut-elle former une frontière ? La réponse est non puisqu’une frontière doit être stable. Or, cette ligne, bien qu’elle soit considérée par les Chinois comme une frontière, n’a pas de position exacte. Au début, elle avait 11 traits. Elle en a neuf maintenant. Une ligne sans cesse revue ne peut être considérée comme une frontière internationale. »

La carte de « la ligne de langue de bœuf » chinoise est même inexacte sur le plan technique. La jurisprudence aborde l’exigence sur l’exactitude technique des cartes. Dans la sentence arbitrale sur l’affaire de l’île de Palmas, l’arbitre Max Huber a écrit : « La première condition que l’on exige des cartes pour qu’elles puissent servir de preuve sur les points de droit, est leur exactitude géographique. »

La carte de « la langue de bœuf » ne répond pas à cette condition.

Marvin Ott, professeur à l’université Johns Hopkins, aux Etats-Unis, estime que c’est la raison pour laquelle la déclaration chinoise est totalement dénuée de base juridique selon le droit international : « La Chine a avancé une déclaration de souveraineté, mais n’observe pas le droit international. Les Chinois ne peuvent pas fournir de chiffres concrets et de preuves légales pour défendre ce qu’ils appellent leur souveraineté. Leur déclaration manque de fondement et ils le savent très bien. »

Toutefois, ces dernières années, la Chine a cherché et cherche à régulariser « la ligne de langue de bœuf » par les activités législatives tout comme par des activités sur le terrain, afin d’obtenir une reconnaissance réelle de cette revendication absurde.

Par exemple, la Chine a équipé ses forces de contrôle des pêches comme celles de l’armée pour qu’elles puissent arrêter les pêcheurs et les bateaux de pêche opérant dans la zone. La CNOOC (China National Offshore Oil Corporation) a mis en adjudication internationale neuf lots situés dans la zone économique exclusive et le plateau continental du Vietnam. En plus, la Chine a annoncé la fondation de ce qu’elle appelle « la ville de San Sha », englobant les archipels de Spratleys (Truong Sa) et Paracels (Hoang Sa), de même que le banc de Macclesfields et leurs zones maritimes dans « la ligne en neuf traits ». Ainsi, 80% de la mer Orientale appartiendrait à cette ville.

Le général français Daniel Schaeffer, ancien attaché militaire de France au Vietnam, en Chine et en Thaïlande, propose une analyse des actes chinois en pointant du doigt les lieux où ont eu lieu des affaires ces dernières années. Selon lui, en 2008, la société américaine ConocoPhillips s’est retirée de l’exploitation des gisements de Moc Tinh et Hai Thach qui se trouvent justement sur la ligne en neuf traits revendiquée par la Chine. L’affaire du bateau Binh Minh 02 s’est passée aussi sur cette ligne, souligne Danielle Schaeffer qui ajoute que le lieu de l’accrochage entre la Chine et les Philippines dans le banc de Reed se situe également sur cette fameuse ligne. Les Chinois veulent concrétiser leur revendication par ces affaires, conclut le général français.

Cette revendication et les arguments équivoques qui s’ensuivent ne peuvent pas persuader de nombreux chercheurs chinois. Le professeur Shi Yinhong, de l’université Renmin, à Pékin, se pose cette question si toute la mer Orientale appartient à la Chine. Selon lui, ces derniers temps, la presse chinoise se montre équivoque à ce sujet. Si l’on dit que toute la mer Orientale est chinoise, le monde ne l’acceptera pas, conclut-il.

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