Enfance vietnamienne de Duras : quelque chose d’inaltérable

(VOVworld) - Ayant vécu ses 18 premières années en Indochine, Marguerite Duras se réclamait d’une biculturalité, d’un métissage culturel et linguistique, entre la France et le Vietnam. À l’occasion du centenaire de sa naissance, l’Institut français de Hanoi a organisé une conférence sur son enfance en Indochine. Avec l’aide de Catherine Bouthors-Paillart, professeur à l’université Paris 7, allons à la découverte de l’enfance vietnamienne de Marguerite Duras qui a influencé profondément sa façon d’écrire.


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Photo : Internet



Il y a 30 ans, en 1984, Marguerite Duras se voyait décerner le prix Goncourt pour « L’Amant », probablement son plus grand succès littéraire. L’auditorium de l’Institut français de Hanoi est rempli d’amateurs de littérature curieux de découvrir l’emprise culturelle et linguistique vietnamo-indochinoise sur son écriture. Marguerite Duras a beaucoup parlé de son enfance indochinoise mais ce n’est qu’à 62 ans qu’elle a, pour la première fois, verbalisé sa problématique en terme de « métissage » et s’est présentée elle-même et son petit frère comme des métisses « plus jaunes que blancs » - bien qu’elle ne soit pas biologiquement métisse. Catherine Bouthors-Paillart nous explique : "Le métissage tel que le fantasme Duras, ce n’est pas un état biologique. Elle le représente, elle le fantasme, comme un processus, comme un devenir, qui émane d’un désir. C’est-à-dire qu’elle veut être métisse, et elle, ou ils - les enfants, réussissent, dans ce fantasme, à devenir métisse".

Selon Catherine Bouthors-Paillart, le statut de métisse dans le contexte colonial est la première chose qui illustre l’enfance vietnamienne de Duras. Le métisse est l’incarnation de l’échec de la société coloniale qui séparait les « jaunes » des « blancs ». Le métisse dans la société coloniale, c’est celui qui est exclu et qui n’a pas sa place. Pourquoi alors Marguerite Duras se revendique-t-elle de cette identification alors qu’elle est blanche, et qu’à priori, il n’y a pas de « métissage » possible ? Catherine Bouthors-Paillart : "Plusieurs facteurs ont rendu extrêmement caduque la position sociale de Madame Donnadieu, la mère, et de ses enfants. D’abord, c’est cet appauvrissement, et celui-là il est réel. Madame Donnadieu se retrouve seule, veuve, avec ses trois enfants. Et d’autre part, chose très importante et Duras l’a dit plusieurs fois : une institutrice d’école indigène occupe, dans la hiérarchie sociale blanche coloniale, le bas de l’échelle sociale."

L’écriture de Duras est également influencée par le bilinguisme qu’elle subit dans son enfance. Catherine Bouthors-Paillart nous explique : "D’une certaine manière elle refuse à sa mère le fait qu’elle lui a transmis une langue maternelle, et elle ne retient de sa mère et du rôle de sa mère que son rôle d’institutrice, celle qui impose le français, celle qui impose de parler français, comme si pour Duras, le français est une sorte de langue étrangère qu’elle a très bien apprise, et comme si sa langue vietnamienne, était celle des berceuses, celle de l’enfance... elle a beaucoup raconté aussi, combien elle avait joué avec, combien elle était proche des enfants vietnamiens. Donc ce fantasme de métissage, le bilinguisme situent la jeune Marguerite Donnadieu dans une sorte d’espace intermédiaire. Elle est ni blanche, ni jaune, elle parle et le vietnamien, et le français, elle est toujours entre deux « races », deux identités, et aussi entre deux langues.... C’est donc une manière de penser et de fantasmer, ce qui fait certainement le fondement de l’œuvre et de l’écriture de Duras, mais aussi le fondement de sa personnalité, son histoire, c’est-à-dire son biculturalisme, mais aussi son bilinguisme".

Le départ définitif de la jeune Marguerite pour la France en 1933 et son entrée dans la littérature française provoquent chez elle une culpabilité profonde. Catherine Bouthors-Paillart poursuit : "En tous cas il y a dans son histoire une grande culpabilité. Culpabilité, littéralement, d’avoir abandonné le peuple vietnamien, auquel elle s’est identifiée, avec lequel elle était en osmose. Elle était certainement très révoltée, je dirais au sens large du terme, politiquement contre la société coloniale. Et elle effectue une rupture radicale, elle se coupe et abandonne. Elle va entrer au ministère des Colonies, et plus encore, elle va coécrire un ouvrage qui s’appelle L’empire français et qui est une apologie, une célébration de l’empire colonial français. Donc, là, elle se trahit complètement, elle essaye d’entrer dans une autre identité".

Mais la part « jaune » de Marguerite Duras est devenue indélibile. Elle est révélée tant  dans son écriture que dans ses témoignages. Catherine Bouthors-Paillart, toujours : "Dans la dernière partie de son œuvre, c’est-à-dire à partir de 1980, c’est toute une autre langue qu’écrit Duras. Et si on s’intéresse plus précisément à cette langue de Duras, en particulier dans L’amant, ce qui est extrêmement frappant, c’est que la langue de Duras reprend les structures linguistiques de la langue vietnamienne. C’est elle-même qui, un jour, déclare , je cite : « c’est beaucoup cela mon style ». Duras a réussi à se réconcilier avec elle-même, ou à réconcilier la part jaune et la part blanche. En écrivant d’autres ouvrages que L’amant, elle laisse monter à la surface les structures syntaxiques, les modalités structurelles d’expression de la langue vietnamienne."

Marguerite Duras a réussi à se réconcilier avec elle-même en faisant vivre son enfance vietnamienne au travers de son écriture et de ses œuvres. Et comme elle même le disait : « Je ne sais pas, il doit rester quelque chose d’inaltérable, après. »

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